CUBA

Un cadeau de retraite! 

Merci à tous ceux qui ont contribué à  rendre mon départ moins rude. 

Je leur avais promis des cartes postales, ils ont reçu un journal de voyage. 

Le voici. Le voyage fut à l'image de Cuba, aventureux, chaleureux, étonnant,  pétri d'images contradictoires  et insolites. 

La Havane

Des bâtiments néo classiques ou baroques 

Au choix, on peut visiter la Havane avec un coco taxi...

de splendides voitures américaines rutilantes malgré leur grand âge.

La Havane le 9 Janvier 2012

1.       Premiers pas sur la planète Cuba.

L’avion a plus de quatre heures de retard lorsque nous apercevons  La Havane. Il est 9h heures  du soir, soit 3 heures du matin pour nous. La  fatigue déforme  les visages.

A l’arrivée, un air tiède et doucereux envahit le tarmac obscur. Nous sommes les derniers à descendre de l’avion sous  les néons livides qui donnent à Jose Marti un petit air d’aéroport régional.

Dans l’immense hangar, mal éclairé qui accueille les passagers, le tri semble s’effectuer lentement. Débarqués depuis un demi-heure, les  étrangers forment d’interminables files qui piétinent jusqu’aux  petites guérites où les attendent des employées impassibles. Nous patientons en silence, fatigués et pressés  de parvenir à la ligne où commencent les formalités. Devant nous sourit un couple de Serbes, ravi d’être dispensé de fournir un visa touristique. Pourquoi eux ? On les félicite et on attend un signe.

 Derrière la vitre se profile la tête  d’une fonctionnaire revêche. Sous son  chignon des années 60, on devine l’employée zélée.  Elle me fait signe d’avancer dans le box. Sans un mot, elle saisit le passeport, le feuillète avec méfiance, pianote sur son ordinateur, lui aussi fatigué, à la recherches d’hypothétiques informations. Elle me fait signe de reculer pour prendre photo : les pieds collés au sol dans un cercle rouge, les yeux fixés à la caméra, le regard vide de ceux qui se sentent vaguement coupables. Elle regarde à nouveau son écran, fronce les sourcils, me toise, replonge mélancoliquement dans ses formulaires, en tamponne deux, me retoise, me rend mon visa touristique ainsi que mon passeport vierge, puis appuie mécaniquement sur un bouton. La porte s’ouvre sur un autre hangar. Nous sommes une dizaine à sortir en même temps de nos boîtes pour récupérer les bagages qui ne devraient pas tarder. Pourtant rien n’apparaît sur les tapis roulants. On attend.

Enfin, au bout d’un quart d’heure une trappe s’ouvre, elle crache  deux valises, puis quelques minutes après deux autres. Les bagages  s’acheminent ainsi, deux par deux pendant une heure, au rythme ralenti d’une perfusion. Une de nos valises apparaît au bout de 20 minutes. Pas l’autre. Une heure s’écoule, dans une tension de plus en plus perceptible. Les gens circulent entre les bagages, soulèvent les étiquettes, trépignent, s’invectivent : des bagages manquent. On se retourne, un autre tapis est entré discrètement en fonction qui crache à son tour ses paires de valises. Le lent défilé recommence, la nôtre n’y  figure pas. Je finis par l’apercevoir dans un coin éloigné du hangar. Elle avait été récupérée par mégarde puis rejetée, loin du passage. Soulagement. Près de deux heures se sont écoulées entre nos premiers pas sur le sol cubain et le moment où nous pénétrons dans notre première lada déglinguée qui sert de taxi.

La voie est dégagée à cette heure-ci. Nous dépassons fièrement les vielles américaines, rutilantes et poussives, dans un bruit de ferraille. La route de La Havane est ouverte. C’est Cuba ! C’est mon cadeau de retraite !

 

 

 

1.2..   La Havane le 10.01.2012

 

Le Vedado

 

L’accueil tardif dans la maison de Jorge est plutôt sympathique. La famille : Jorge, un faux air de Christian Clavier tropical, sa femme, une métisse aux yeux clairs,  son beau frère, sa belle sœur, son père, ses enfants viennent de fêter l’anniversaire de la grand-mère. On s’embrasse chaleureusement. La chambre est belle, lumineuse, donnant sur une terrasse. On y devine dans la pénombre les toits surplombés du fatras qui nous deviendra vite habituel : des cuves, des citernes, des constructions branlantes, des enchevêtrements de tôles, de poutrelles, des outils, du linge qui sèche, des animaux : des chiens, des poules, des porcs.

Le Vedado est un quartier relativement chic, construit au 20ème siècle et parsemé de monuments coloniaux. Les coquettes petites maisons envahies de bougainvilliers, y sont bien entretenues. Les trottoirs, par endroit défoncés, le sont sans doute un peu moins, mais c’est classique sous les tropiques. Malgré l’obscurité nous distinguons un bâtiment monumental, orné des colonnes, de balustres et de chapiteaux, une architecture typique de La Havane.

Au matin, premier choc. : le magnifique bâtiment, ancien couvent reconverti en lycée technique est gagné par la lèpre. S’il conserve sa beauté décrépite jusqu’au deuxième étage, son sommet, construit dans un béton crevassé est en ruine, plus de fenêtres, les tuyaux pendent, des bouts de fer dépassent de ce qui fut peut-être des salles d’ateliers. Un chahut indescriptible monte du rez de chaussée, les élèves parlent, hurlent, se bousculent, calmés pendant un cours instant par ce qui ressemble à un cérémonial quotidien. Tous en chœur, d’une belle voix mâle, ils promettent de se comporter en élèves méritants. L’instant officiel passé, le joyeux brouhaha recommence jusqu’à la sonnerie. Un coup d’œil à travers la porte, sur une salle délabrée confirme nos pressentiments : la modernité technologique n’a pas encore atteint Cuba…

 

 

 

Sur une  terrasse du quartier Vedado 

Le Malecon

3. La Havane le 10.01.2012

 

 

Déambulations  dans La Havane : Le Malecon

 

A 8h 30, malgré un ciel d’azur et un soleil déjà bien haut, l’air est frais. Nous sommes en Janvier, au plein cœur de l’hiver cubain. Les gens se dirigent, sans hâte, vers les bureaux et les ambassades qui ont leur siège dans le Vedado. Par groupes, ils discutent. Les femmes parlent plus fort d’une voix étonnante : aigüe et grave en même temps. Devant nous, marche un employé de bureau, sérieux, habillé avec soin, chemise blanche et pantalon noir, il porte un petit sac en plastique blanc dans lequel on devine un repas. En fait tous portent ainsi leur repas dans un petit sac en plastique blanc.

Nous passons d’abord à la banque où nous découvrons notre première queue, régie par des lois tacites et immuables. D’un signe discret, on montre la personne qui nous précède puis on peut vaquer, s’écarter, papoter, en prenant garde de ne jamais perdre de vue sa place. Nous ressortons de la banque avec des liasses imposantes de billets, soigneusement vérifiées par l’employée, composées de pessos cubains de très faible valeur, si faibles qu’ils seront difficilement utilisables, et les précieux CUC convertibles, objets- nous n’allons pas tarder à le découvrir- de toutes les convoitises.

Il faut une longue marche pour arriver au Malecon. L’avenue est large, au loin dans des gerbes de brume se dessinent les massives silhouettes de l’HotelNacional et de l’immeuble Focsa. L’air chaud devient très transparent.

Le Malecon apparait brusquement : un long ruban de 7 kms qui mène au centre historique de La Havane. Une artère argentée, sillonnée par les grosses limousines américaines rutilantes, qui roulent à tombeaux ouverts, des taxis conduits par des jeunes gens ébouriffés. D’un côté la mer, fracassante, tourbillonnante, violente, exubérante, de l’autre des barres, des trouées, des grues, des bâtiments disparates, des baraques, des parcelles à l’abandon. Au loin les clochetons des églises et des monuments. Des coulées jaunes, violettes, mauves, crèmes se réveillent au soleil. Ce n’est que peu à peu qu’on distingue des bâtiments à la splendeur fanée. Antiques gardiens des fastes espagnols d’antan, ils tournent vers la mer leurs façades abimées, lézardéeset rongées par le sel. Du parapet fissuré, de rares pêcheurs lancent sans conviction leur canne à pêche. Des collégiens s’ébrouent, rieurs dans leurs uniformes bruns et blancs.

 

Le Malecon est un peu triste ce  matin.

La Havane le  11.01.2012

4.      Jose Marti, poète éternel

Qui ne connaissait pas Jose Marti en arrivant, reconnait au bout de deux heures sa silhouette élancée et élégante et ses superbes moustaches statufiées partout et à jamais sur toutes les places centrales des villes cubaines. On ne peut le confondre avec Cienfuegos, autre héros national, plus chevelu, plus moderne et toujours coiffé d’un chapeau. Ne parlons pas du Che, incontournable figure de Christ révolutionnaire, devenu icône marchande des bazars à souvenirs. Lui, porte toujours le béret.

Le Memorial du poète, apôtre de l’indépendance cubaine, se situe donc PLaza de La Revolucion, la place sur laquelle Castro pouvait haranguer les foules pendant des heures (parfois   9 heures  précise le guide). La Place, qui peut contenir un million de personnes,  est immense et vide. Couronnée d’un côté par les portraits géants et béatifiés du Che et de Cienfuegos, elle présente de l’autre côté une sorte de pyramide en béton, soigneusement surveillée par l’armée, la police, les gardiens. L’intérieur contient des expositions sur Jose Marti, sur la geste castriste et des photos sur l’urbanisme de La Havane. On peut accéder à son sommet grâce à un ascenseur d’où l’on découvre  toute la ville.

La visite est tentante, et nous partons de bon matin- le soleil est un peu plus haut que la veille- pour commencer notre premier pèlerinage révolutionnaire de la journée. Le second est prévu l’après midi au Musée de la Revolucion. Le chemin à pied est un peu long mais qu’importe, il fait beau, nous marchons d’un bon pas derrière un militaire qui porte son petit sac en plastique blanc. L’avenir s’annonce radieux. Reste à trouver l’entrée de la basilique laïque. On s’assied sur une inoffensive murette pour consulter le GdR. Un coup de sifflet vindicatif retentit, un militaire fait des gestes aussi amples que dissuasifs : interdiction de s’asseoir. Pas de problèmes, nous poursuivons 20 mètres plus loin sur un bout de pelouse. Cette fois-ci ce sont des hurlements que poussent deux autres militaires. L’affaire deviendrait grave si une gardienne ne nous faisait signe d’approcher. Son statut dissuade les deux vitupérants. Elle nous indique une entrée, masquée par le coude d’une rampe monumentale que nous essayons d’emprunter, lorsque deux policiers nous prient de faire demi-tour. Nous obtempérons docilement, buttons sur la même gardienne, qui envoie à la rescousse un de ses collègues qui nous conduit discrètement vers une petite guérite où se vendent les billets. Enfin !

Le musée est désert. La visite est rapide, les photos intéressantes mais exposées avec parcimonie. Nous cherchons l’ascenseur pour monter profiter du panorama. Deux gardiens nous le signalent à droite, deux autres à gauche, heureusement le bâtiment est circulaire et l’ascenseur est unique. Une femme- la chef, la jeffe, sans doute- sort de son bureau, accompagnée d’un autre gardien. Il faut payer deux CUC de plus. On entre donc tous les quatre dans l’ascenseur. Elle s’assied sur un tabouret devant les commandes. Le gardien commence à se couper les ongles. L’ascenseur décolle lentement. La vue là haut est magnifique : sur un côté les bâtiments officiels, de l’autre la Place quasiment vide, mais au loin la Vieille Havane et ses clochetons dessinées sur la mer émeraude. Le gardien, dont les ongles commencent à diminuer, nous montre les bâtiments officiels, floutés par la vétusté des vitres du mirador. De grands aigles profitent des courants ascendants pour tourbillonner dans l’azur devenu éblouissant. On est charmé, il faut redescendre. Les ongles sont coupés. Une autre chef nous attend, il faudra donner un peso de plus.

Il est temps de rejoindre La Havane en coco-taxi, une mobylette enveloppée d’une coque jaune en forme de noix de coco L’expérience est amusante, les touristes sont ravis, mais éprouvés par les zigzags entre les charrettes, les étals, les bicyclettes, les chevaux, les taxis, les vieilles américaines, les ladas  brinquebalantes, les passants. Le ravissement coûtera 15 CUC.

 

* Guide du Routard, bible précieuse et indispensable pour un séjour à Cuba.

 

 

Memorial Jose Marti

La scolarisation est garantie à tous. 

5. La Havane le 12.01.2012

Le jardin botanique

Généralement le troisième jour d’un voyage est le plus dangereux : fatigue, dépaysement, inconfort. Pourtant cette journée avait bien commencé. Il ne nous avait fallu que 3heures pour récupérer la voiture de location : une Huyndaï grise et neuve de trois ans. La  balade au Castillo del Moro, forteresse du 16 ème siècle gorgée de lumière, nous avait ouvert un panorama somptueux sur la vieille ville de la Havane. Et même le repas, servi dans un paladar (un de ces petits restaurants privés permis par Raoul)  charmant et fleuri déniché dans un lotissement banal de la banlieue, avait pris des allures de festin tropical. Certes il y avait eu la tâche. Une tâche d’huile énorme, noire sur le Tshirt crème. Une angoisse de tâche pour Elle, en ce début de voyage. Un mépris pour Lui qui n’admettait pas la futilité des femmes concernant le linge. Un de ces incidents qui vous pourrissent rapidement une journée si vous ne trouvez un dérivatif. Comme il faisait très chaud, le Jardin botanique, vanté pour la beauté de ses orchidées sauvages s’avéra le lieu idoine pour le repos des couples. Il ne restait plus qu’à le trouver, sans l’aide de cartes routières dont l’utilité s’avère peu évidente dans un pays où quasiment  personne ne conduit. Seule certitude : le Jardin botanique se trouvait à une quarantaine de kms, près du Parc Lenin, lui-même proche de la grande zone des expositions internationales. Il était 13h30 et nous avions du temps.

La découverte des autoroutes cubaines est toujours un défi à la raison. Aucune indication ne permet de savoir où on est et où on va, sur une route immense à trois voies que fréquentent en même temps les chevaux, les camions, les carrioles, les piétons, les cyclistes, des voitures, des poules  et des ruminants. Après 50 Kms, une indication délavée nous indique une bretelle qui mène au Parc des Expositions. Nous nous retrouvons à un carrefour vers lequel semble converger tout ce qui roule, marche et fume à La Havane. Impossible de s’en sortir sans demander sa route. Un jeune homme qui voltige de camions en camions nous propose son aide. Il habite justement près du Parc Lenin, il rentre de son travail et se fera un plaisir de nous montrer le chemin. Il monte dans la voiture, nous entraine par des tours et des détours à 1km de notre point de rencontre, descend  brutalement en nous disant qu’il est arrivé et nous souhaite bonne route. Nous reconnaissons, en pestant  notre carrefour et découvrons par hasard un autre panneau indiquant le Parc des expositions internationales au-dessous duquel on lit Parc Lenin. Le salut est proche. Effectivement au bout d’une demi-heure, les vestiges des bâtiments prestigieux se dressent sur la route, étouffés par la végétation et dévorés par les pluies. C’était le Parc Lenin.

Le Jardin botanique se rapproche pourtant, comme nous le confirment les passants qui nous envoient, les uns à gauche,  les autres à droite,  nous indiquant la gauche en nous montrant la droite, ou  qui vont solliciter un tiers qui affirme le contraire.

Il est 16heures quand enfin nous découvrons la véritable entrée du Jardin botanique.  Le gardien nous signale solennellement que c’est l’heure de la fermeture. Une guide nous implore de la ramener à la Havane dans notre voiture. Nous cherchons l’appareil photo pour immortaliser le Jardin. L’appareil photo a disparu !

Un article lu dans Granma, une semaine plus tard, déplore la négligence des autorités concernant le Jardin botanique. Y sont mentionnés son absence de signalement et les nombreux vols qui s’y déroulent.

On ne s’y contente pas de dérober les orchidées, même les arbres africains les plus précieux disparaissent !

 

 

Le jardin botanique

Même les arbres africains sont volés! 

Malgré les citations du Che

6.La Havane le 12.01.2012

Le commissariat

La guide du Jardin botanique a été formelle dans la voiture. Il faut porter plainte à la police pour le vol de l’appareil photo. Bien sûr, la  déclaration sera nécessaire pour les assurances françaises, mais surtout elle soulagera le moral du peuple cubain, lassé des agissements des bandes de jineteros, ces jeunes délinquants qui harcèlent les touristes.

Le commissariat est à trois quadras de la Casa de Jorge dans le Vedado. Le soleil est encore haut dans le ciel : il n’est que 17h. Il décide donc fermement de réclamer justice, pour lui et pour le peuple cubain. Vêtu de sa belle chemise bleue en lin, toute propre et d’un élégant pantalon en lin lui-aussi, Il rejoint le commissariat. Elle se replonge dans Limonov De Mathieu Carrère, un roman sur fond de chute de l’empire soviétique.

Quand à 19h30 la cuisinière lui signale que le repas est prêt, Elle prend conscience qu’Il n’est pas rentré. Pas d’inquiétude, c’est toujours long avec la police cubaine, on remettra les plats à chauffer. A 21h, alors que le Mur est déjà  tombé p.441  et que surgissent  les pires turpitudes à l’Est, elle s’émeut. Et s’il était retenu pour propos déplacés ? Et s’il avait été agressé dans la nuit noire par un jinetero à l’affut ? A 22h. Elle supplie Jorge, un peu goguenard, de téléphoner au commissariat. Il s’exécute sans enthousiasme. « Si, si, on a vu un français il y a quelques heures au commissariat, mais franchement on ne sait pas où il est. On va lancer un avis de recherche grâce à son visa touristique. On rappellera ». Elle reprend sa lecture. Limonov s’est engagé chez  les Serbes, le peuple russe est exsangue. Elle n’a plus faim du tout, s’effondre sur la terrasse, s’accroche à la grille pour scruter les silhouettes. Des couples passent en riant très fort. Des chats se battent. Une portière claque, ce doit être lui. Non. A minuit, Jorge se veut rassurant : inutile d’attendre, ils le garderont peut-être toute la nuit, surtout s’il a mauvais caractère. Minuit et demie : le téléphone sonne, c’est lui ! Il est au Jardin botanique  dans une lada avec les flics pour reconnaître le lieu du délit, il en a pour une heure ou deux. Il est une 1h 30 du matin quand il rentre. Il est  ému du bouleversement qu’il lit sur son visage à Elle, il veut lui raconter tout ce qu’il a vu au Commissariat : une très intéressante soirée en fait. Elle tombe  de sommeil.

Le lendemain, Il raconte, comme d’habitude par bribes, ses huit heures au poste. D’abord le premier commissariat où il a attendu, sans impatience une heure et demie, avant de devoir relater avec force détails concrets son aventure. La rédaction du PV, en espagnol, sur un formulaire manuscrit puisque le commissariat n’a pas de machine à écrire. Les coups de téléphone ensuite pour s’assurer d’un commissariat équipé qui pourrait consigner la déposition officielle. Le départ dans un second commissariat pour taper le rapport. La recherche du chef qui seul pouvait signer, mais ne pouvait se déplacer. L’arrivée au 3ème commissariat : un vrai celui-là avec du matériel et du personnel, une trentaine de personnes des deux sexes  et de toutes couleurs, des policiers, des militaires, des civils, qui passent la nuit là, sous les citations croisées du Che et de Fidel, à causer, à flirter, à attendre les dépositions. Il y a même un prévenu : un jinetero brun aux muscles saillants et aux boucles d’oreilles dorées. Le chef arrive. Il peut signer mais il faut d’abord aller reconnaître le lieu du vol. Il faut une voiture pour se rendre au Jardin botanique. Mais où est la voiture ? Partie ? Partie avec un couple de jeunes flics, ils ne rentreront certainement pas tout de suite…On suggère la lada, celle qui ne passe plus ses vitesses sans hurler. La lada s’ébranle dans la nuit tandis que passe une magnifique voiture de police neuve : une coréenne.

Bouillant d’indignation, le convoi se rend au Jardin botanique, les pneus crissent, les vitesses geignent. Il reconnaît le carrefour !

La route du Jardin botanique nous est désormais familière.

 

 

 

Viñales

Laura l'ingénieure agricole

Vińales le 13.01.2012

7..Laura l’ingénieure agricole

 A quelques kilomètres de la Havane, l’état délabré de la chaussée nous oblige à quitter la route nationale qui serpente entre de jolis villages, très pauvres, aux tons pastel. Mieux vaut rejoindre l’autoroute: l’autopista nacional, à l’entrée de laquelle patiente un attroupement d’une bonne cinquantaine de stoppeurs, dont les départs sont régulés par un agent de la circulation. Nous refusons vertement sa demande, arguant du vol dans la voiture  de notre appareil photo, la veille par un stoppeur. Nos paroles déclenchent  un élan de réprobation morale dans le groupe. Tout le monde est désolé de ce qui arrive aux français, chacun jure que le fait est unique, voire singulier, c’est déplorable, mais sans le stop personne n’atteindra jamais Pinar  del Rio à 150 kms. Une jeune femme  joue des coudes, elle passe la tête par la fenêtre : un beau visage épanoui et ouvert de métisse aux yeux verts, fiché sur un corps énorme. Sa bonne humeur et sa façon de compatir inspirent confiance. On hésite. Une jeune fille arrive alors  en trombe pour jouer sa chance. Trop tard, il n’y a plus de place, Laura est installée sur la banquette arrière.

Laura se présente : elle est mère de famille, ingénieure agricole, revient d’une conférence à La Havane et doit rentrer à Pinar del Rio continuer ses expertises auprès des exploitations agricoles. D’une voix claire à la diction impeccable, elle nous décrit son métier, les cultures que nous traversons, les systèmes d’exploitation, l’irrigation, les problèmes d’acheminement que rencontrent les paysans. La discussion débouche sur la situation de Cuba. La double monnaie qui appauvrit ceux qui n’accèdent pas aux CUC avec des salaires qui dépassent rarement l’équivalent de 25 euros par mois. Si Raul et Fidel connaissent d’après elle l’intérêt de ce double système pour Cuba, Laura, elle, comme beaucoup d’autres l’ignore. Elle est sincère. C’est notre première véritable interlocutrice cubaine. Avec elle, nous avons le sentiment de posséder quelques clés qui nous permettront peut-être de comprendre l’attachement viscéral et encombrant des cubains aux touristes. 

L’autoroute est agréable, c’est à peine si nous croisons en face, sur l’autre trois voies, une voiture par minute. L’impression d’être sur une piste d’atterrissage un jour de grève au mois d’août. Le paysage se vallonne, il verdit sous les champs de tabac, on aperçoit au loin les sommets arrondis des Mogotes. Nous arrivons à Pinar del Rio, une petite ville rurale flanquée d’édifices pompeux, multicolores, aux colonnes néoclassiques. Il est midi, Laura nous propose de nous conduire dans un petit paladar juché sur une terrasse au sommet d’une maison, avec une vue superbe sur la vallée. Le patron la connait bien. Nous y mangeons très correctement pour un prix raisonnable. A la fin du repas - que nous lui offrons-, elle nous propose de consacrer l’après midi qu’elle avait prévu de perdre sur l’autoroute à  nous accompagner dans l’exploitation de tabac qu’elle supervise.

Sans Laura nous ne serions jamais parvenus à trouver la Finca Robaïna, la perle des exploitations de cigares, dans le lacis des chemins du fameux Triangle du tabac. L’accueil y est  très chaleureux. Laura et le régisseur s’embrassent avec l’effusion naturelle de vieux collègues de travail. On se croirait dans un château du Médoc, les travailleurs noirs en plus. Laura nous commente avec passion toutes les étapes de la  production. Les femmes dans l’étuve du séchage acceptent de poser pour une photo, le doigt suspendu à leur aiguille à coudre. Un vieil employé nous montre comment envelopper le tabac avec les plus belles feuilles et couper le bout d’un geste habile. On hume. On touche. On discute  des points communs avec les plantations lot et garonnaises. On prend une photo sur le rocking chair de la maison des maîtres avant d’aller acheter discrètement  des cigares  dans la petite maison  des employés: 2 CUC pour le café, 10 CUC pour 3 cigares.

Laura est radieuse, quand elle grimpe dans la carriole à cheval qui sert de taxi à Pinard el Rio. Elle nous propose de nous revoir, pour continuer la discussion dans le même paladar deux jours plus tard. Elle fera un flan cubain, aux œufs et au lait. Nous, nous pourrions lui apporter des cadeaux : des savonnettes, des parfums, des médicaments, des Tshirts pour ses enfants  et peut-être des vêtements pour elle malgré sa  grande taille.

 

Nous la retrouvons le dimanche. Le restaurateur est déjà un ami, il propose de la langouste fraîche, un cocktail de crevettes. Nous sortons ravis, mais perplexes. Pour 72 CUC (soit 3 mois de salaire moyen)  nous avons bien mangé. Laura nous réclame nos adresses internet. Silence.

La culture du tabac. Une ressource sûre. 

8. Vińales le 14.01.2012

 

Sur les sentiers de Vińales.

La pluie tombe quand nous arrivons à Vińales en fin d’après midi. Avec la brume qui s’accroche àleurs sommets, les mogotes, ces immensespains de sucre karstiques, évoqueraient un paysage chinois si des petites chaumières  au toit de palmes (les bohios)- ne rappelaient  les Caraïbes. Le  village est pittoresque avec ses rues en enfilades, ses  maisons basses de couleurs vives et ses petites terrasses où s’alignent à l’identique les mêmes fauteuils à bascule verts. Les toits sont refaits depuis le passage du terrible cyclone Ike en 2008. La sérénité qui règne ici, malgré le froid (12°) donne envie d’une petite balade matinale dans la campagne.Mais comme il est rigoureusement interdit de s’aventurer seuls à Cuba dans les prairies et dans les champs, les touristes se pressent déjà devant l’unique chaise de l’office du tourisme. Heureusement, Laura  avait pensé à nous, en  écrivant  un mot de recommandation pourOslivio ,un guide de sa connaissance.

Après plusieurs passages devant les dinosaures verts et rouges de « la « Prehistoria » hideuseet gigantesque fresque peinte sur la paroi rocheuse, nous trouvons à l’écart du cheminla fermefamiliale d’Oslivio. Les bâtiments noyés sous la végétation sont assez pimpants. Plusieurs générations semblent vivre là, des femmes s’affairent discrètement à la cuisine aménagée dans un appentis au fond de la cour, tandis qu’un petit garçon triture avec délectation une poule qui caquète d’indignation. Oslivioest un paysan d’une cinquantaine d’années, un métisse noueux,aux yeux pétillants d’azur cubain. Il accepte immédiatement  de nous accompagner. Au programme : deux heures de marche tranquille au pied des mogotes, jusqu’à un promontoire qui domine la vallée.  16 CUC.Top là,  pour les mogotes, nous voilà partis !

Un petit sentier, à peine marqué, parfois effacé par les pierres ou la végétation, se faufile entre des lopins impeccablement cultivés. La terre, généreuse et grasse, ouvre devant nous un somptueux étal  tropical: du tabac, du maïs, du manioc, des patates, des bananes, des ananas, des orangers. Oslivio se baisse pour nous montrer un plan de manioc. La plante fragile ne ressemble pas à sa cousine d’Amazonie, son tubercule n’a nul besoin de couleuvre. Plus loin la végétation dessine, en ce mois de janvier, un jardin exotique aux dégradés de verts et de jaunes, zébré par les lignes orange des chemins où affleure la latérite. On imagine ce paysage embrasé par les  flamboyants au printemps ! On longe un champ, où un gros bœuf brun nonchalant traine sa charrue, un grand échassier blanc immaculé perché sur son dos. Après les champs de tabac, aux odeurs de cigare, la pente devient plus raide. On croise untrès jeune cavalier souriant, sous son panama de paille.Le soleil tape fort maintenant sur les éboulements de pierres.Il ne reste plus qu’un km avant de parvenir au bohio bleu dont la terrasse sert de belvédère. On s’arrête un peu, l’eau est encore fraîche. Oslivio me fabrique une canne dans une branche de cèdre. Le panorama est splendide: la large vallée, bordée de ses grands géants  de pierre aux cheveux verts et crépus, s’ouvre sur la mer turquoise. Quand on parvient au sommet, devant la petite maison bleue où est attaché un âne,  règne l’immense paix du monde. La nature est immobile, le silence uniquement troublé par le galop d’un cheval.On est ailleurs, le temps s’est arrêté. On est à Cuba.

Au retour, Oslivio nous parle avec beaucoup de tendresse, de sa région.Il nous raconte l’angoisse des paysans quand la violence des cyclones les oblige à se réfugier dans les grottes, quand ils découvrent ensuite leurs champs et leurs maisons dévastésQuand il faut tout reconstruire avec les trop maigres subventions que leur octroient les autorités. Il nous dit aussi son admiration pour ce français, Pierre un vigoureux retraité de l’EDF qui, à 55ans, a épousé une jeune cubaine. Avec l’argent de sa retraite, il s’est acheté un tracteur qu’il loue, ou qu’il prête aux paysans, contre rétributions en fruits et légumes. Pierre est un bienfaiteur  pour ceux qui n’ont que leur bœuf et leur charrue pour retourner la terre. Pierre   est un nouveau héros cubain. Il vit très bien.

 

Il a une très belle maison, mais pour nous  pas aussi belle que celle d’Oslivio le gentilcubain qui nous offre ses ananas.Nous lui achetons pour 10 CUC une boîte de cigares fermiers.

Le séchage des feuilles de tabac. 

La fabrication de cigares

Les profiteurs 

Santa Clara

Santa Clara le 16.01.2012

9.Santa Clara La Casa particular

Denis  devient rouge de confusion et de fierté quand nous lui traduisons avec solennité l’article du Guide du Routard  le concernant. Sa casa est effectivement conforme à la description qui en est faite et l’accueil aussi raffiné que le mentionne Le guide. Même les salles de bain, dont Denis est si fier, correspondent au descriptif. Pour fêter son accession à la première colonne du Routard, Denis nous offre le meilleur Mojito que nous ayons jamais dégusté. Il nous propose ensuite son poulet au miel, mentionné à la page 138, fierté de la famille. Pendant que sa femme, sa fille et sa très vieille mère préparent le repas, Denis nous parle de lui, de sa maison, des problèmes de construction à Cuba. En fait, il est architecte mais il gagnait si mal sa vie qu’il a trouvé plus rentable de louer trois chambres aux étrangers. Il a coupé sa maison en deux dans le sens de la longueur, l’a réorganisée avec un patio qui court tout au long des chambres, a chiné pour dénicher ses carreaux rustiques et ses meubles anciens. Il a ainsi pu faire ce dont il rêvait, une vraie maison coloniale, accueillante et confortable. C’est par lui que nous apprendrons comment se fabriquent à la chaine les petites maisons basses que le gouvernement alloue pour un prix dérisoire aux familles pauvres afin d’éradiquer les bidonvilles. Dommage pour Denis, tant mieux pour les autres. Si au moins, il avait pu décrocher un de ces chantiers hôteliers pharaoniques pour clientèle étrangère ! Mais il est trop tard pour Denis qui a 50 ans.

Denis est vraiment un  type affable, il nous donne un plan de Santa Clara. Où l’a-t-il trouvé ? et nous indique les points à voir : d’abord le Mausolée du Che, le train blindé, la Plazza avec son théâtre, sa bibliothèque, son petit «  boulevard ». On rêve un peu et on part, laissant Denis et sa famille gérer une panne d’électricité qui paralyse tout le quartier. Plus d’électricité donc plus d’eau non plus. Nous jetons un coup d’œil inquiet sur les toilettes...

La rue qui mène à la Plazza est assourdissante. Les cris de vendeurs ambulants d’ail et d’oignon se mêlent au vacarme des enfants de l’école. Les carrioles  font un bruit d’enfer sur les ondulations de la chaussée,  amplifié  par les essieux des camions qui grincent. Des voisines s’apostrophent de leurs voix criardes. Un  saxo  donne le rythme un peu plus loin. Le coiffeur nous hèle de son salon ouvert aux quatre vents : nous avons besoin d’une coupe !  3 CUC, pas cher. Nous rions avec les clients. Un vélo nous frôle. Les hauts trottoirs, trop étroits pour s’y croiser nous obligent à monter et descendre sur la rue au péril de nos chevilles.

Santa Clara est une ville universitaire, joyeuse et bouillonnante que nous parcourons une journée durant pour nous imprégner de l’humeur des cubains. Nous y faisons des rencontres étonnantes : Gonzalo un ancien mécano, revenu d’Allemagne de l’Est en 1989, nous confie sur un banc son écartèlement entre l ’Allemagne où il a laissé son bel et tendre amour et Cuba où il a fondé une famille. Gonzalo est dans la peine : la vie est difficile, peut-être pourrions nous l’aider ? Une touriste argentine admiratrice de Cuba brosse pour nous, à la table que nous partageons au restaurant, un tableau synthétique de l’évolution de l’Amérique latine. Un gracieux adolescent, aux yeux verts, promène dans la rue un lévrier barzoï en lançant des œillades. En fin d’après midi, nous passons à la poste. Un hall immense, sombre et vide avec un tout petit bureau derrière lequel discutent  trois employés. Nous demandons des timbres. Leur discussion continue pendant 5 bonnes minutes avant qu’une postière ne s’aperçoive de notre unique présence. Des timbres pour où ? Pour la France. C’est beau la France. Le timbre ne colle pas, elle sort une éponge puis un pot de colle, la carte mettra un mois avant d’arriver, mais la lumière revient après 10 heures d’interruption. Il fait nuit,  une lumière  crue éclaire la poste encore plus grande et plus vide. La foule dans la rue clame sa joie et applaudit. Nous rentrons à la casa. Denis nous accueille : vous avez vu la lumière est revenue ! Nous ouvrons la porte des  toilettes. Tout va bien !  

 

Le lendemain la postière nous reconnaît et nous salue.

La belle maison de Denis l'architecte

Santa Clara le 17.01.2012                                                                                    

10. Hasta la victoria, siempre !

Ernesto Che Guevara est un excellent emblème pour Cuba. Sa silhouette juvénile, sa barbe naissante, son sourire enjôleur, ses yeux clairs font encore leur effet. Sur les Tshirts, les casquettes, les affiches, les tableaux, les cartes postales, les murs, les magnets, les foulards, le guerillero s’imprime. Pour 6 CUC, son béret noir, piqué d’une étoile rouge orne les fronts rubiconds des touristes. Même ses slogans, peints sur des panneaux au bord des routes et dans les entreprises guident le quotidien des cubains. « Si l’organisation n’existe pas, les idées perdent de leur efficacité depuis leur première impulsion. Elles se transforment en routine et en conformisme » lit –on à l’entrée d’un atelier de carrosserie où s’entassent les carcasses pourries  de Chevrolet et de Lada. Plus que Fidel, que l’âge a rendu moins sémillant et plus réel, le Che est la véritable icône de la Revolucion.

 C’est pourquoi, lassée de tant de piété et fatiguée par les chaos d’une longue route, Elle  décide, malgré Lui, en cette fin d’après midi à de ne pas descendre de la Huyndaï  garée derrière deux bus  de russes sur l’immense esplanade du Mausolée, à l’ombre. Elle se contentera de loin d’admirer la statue guerrière de son ancienne idole. C’est vrai qu’il est beau le bougre, au soleil couchant, en héros sud américain. Une main sur le fusil, l’autre sur sa cartouchière, le genou légèrement fléchi, concentré sur les victoires à venir. Elle songe. Lui, qui n’accepte  pas ses langueurs, revient toutefois visiblement ému par la lettre d’adieu du Che à Fidel. En un instant, il avait revécu l’annonce de son sordide assassinat, à la télé à la Cité U en Octobre 1967, la stupeur, les larmes des antillais qui se sentaient désormais abandonnés.

Le Mausolée, que nous visitons le lendemain matin, se compose de trois lieux : des salles dédiées au Che, la crypte des Martyrs, le cimetière des vétérans. Les documents : des photos, des objets ayant appartenu au héros asthmatique et des discours,  cherchent  à construire la légende sans céder au mythe. On le voit bébé dans les bras de son père dans leur belle maison de Rosario en Argentine. On le reconnaît sur son pot (imagine-t-on jamais De Gaulle dans la même situation ?), on l’accompagne à l’école puis à l’Université de médecine. On le retrouve dans la Cordillère des Andes, dans la touffeur de la jungle tropicale jusqu’à sa rencontre avec Castro qui scelle son destin. On le suit sur le sillage du Granma, avec sa trousse de médecin exposée à côté des photos du carnage. On le redécouvre, le fusil ou un livre à la main dans la Sierra Maestra, discutant avec ses compagnons d’arme et les paysans pauvres. On l’admire après l’épisode du train blindé, on l’ovationne comme ministre.

On le retrouve mort sous la crypte du Mémorial des martyrs, au côté des dalles de ses 38 compagnons tombés au combat. En Bolivie.

Nous  sortons  en silence poursuivre l’évocation de celui qui aura marqué toute une génération d’étudiants. Dehors le soleil brille sur les dizaines de tombes noires des vétérans alignées au cordeau. Certains sont morts en 56 , 58, 65 à Cuba ou ailleurs dans les guerres d’Afrique. Des tombes attendent les survivants. Leurs noms y sont inscrits au soleil pour l’éternité. 

Reste à voir le train blindé, dont l’attaque a permis la victoire des forces révolutionnaires, et son petit musée à l’autre bout de la ville. Nous dépassons rapidement les colonnes d’écoliers, vêtus de leur uniforme de pionniers rouge et blanc et parvenons exténués à  une grande place de gazon vert,  où se dressent  les restes du train blindé. Pour 2 Cuc, nous pouvons mesurer l’épaisseur du blindage orangé  des 3 wagons blindés, et observer la torsion des rails arrachées sous le choc d’un petit bulldozer peint en jaune.

 Ah Dieu  que la Révolution est  jolie ce matin !

 

 

 

 

 

 

 

Sans légende

Trinidad

Trinidad le 20.01.2012

11.Un patrimoine mondial de l’Humanité

La Casa Leone, reconnaissable à son énorme tête de lion en plâtre collée sur la porte d’entrée, n’est qu’à quatre quadras de la PlazaMayor, le centre  de Trinidad, ville musée réputée tant  pour la richesse de son architecture coloniale que pour  l’élégance de ses demeures patriciennes. Puisque les pavés épais et irréguliers meurtrissent les pieds, la Casa d’Octavio s’avère un havre bienvenu. La porte au lion,  doublée d’une autre porte ouvragée, reste souvent  ouverte pour permettre aux passants d’apprécier le luxe de la maison. Octavio s’est enrichi grâce à ses chambres, qu’il loue si possible à l’hiver aux canadiens migrateurs, avides  de soleil. Quand il vient nous accueillir, il a l’élocution pâteuse, les yeux brillants  et le visage empourpré de l’amateur de rhum. Sa maison ressemble à une pièce montée bigarrée, boursoufflée en bas, hérissée en haut d’innombrables piliers, sans fondements, mais  annonciateurs des constructions à venir. Nous traversons 3 pièces en enfilade, dont l’une,  soutenue par des colonnes aux chapiteaux ioniens torsadées, peintes en bleu et vert, est consacrée au culte du cœur. Le cœur vermeil et sacré de la Vierge Marie veille sur les cœurs roses plus profanes des coussins brodés qu’éclairent langoureusement des lampes en plastique mauve de même forme. Un cadre trônant au-dessus d’un bureau noir brillant, orné de roses artificielles,  magnifie la photo d’Octavio, bienheureux mari d’une très jeune femme et heureux papa de deux petites filles. Après avoir admiré la fontaine aux dauphins dans ce qui reste de patio cimenté et peint en jaune serin, nous grimpons par un escalier haut et étroit sur la terrasse, où Denys et sa femme, deux retraités québécois narquois prennent le café. Entre les piliers et les poutrelles, le panorama qui se détache sur le vide est superbe : Trinidad entourée par  le Massif de l’Escambray s’ouvre au Sud sur la mer scintillante des Caraïbes. A quelques quadras se dessinent les toits de tuiles des demeures coloniales, ombragés par de majestueux palmiers royaux. Les clochers des églises ponctuent ce tableau digne du 18ème siècle. Il est 11h, pas une minute à perdre. Nous filons d’abord aux musées puis nous entamerons, suivant  les conseils des guides, notre flânerie paresseuse lorsque  les bus de touristes auront quitté les lieux.

Le Musée d’architecture coloniale est une merveille didactique. Installée dans une maison de maîtres enrichis par le sucre,  elle retrace toute l’histoire des premières constructions coloniales : l’emprunt de leur forme, notamment des auvents, et de leurs matériaux, dont l’adobe, aux habitations amérindiennes, l’apport espagnol, l’ajout des fresques et des enjolivures héritées des andalous, l’introduction précoce du confort avec une vraie douche du 19ème siècle. Son patio, frais et reposant, laisse entrevoir les fastes d’antan. Du temps de l’esclavage comme nous le rappelle le MuséoRomantico, érigé  en face, lui aussi, dans une demeure patricienne. On se promène de pièce en pièce au milieu de magnifiques objets, en porcelaine de Limoges ou  de Saxe,dont un crachoir, des verreries de Murano et  de Bohême. On admire le mobilier incrusté  de nacre chinois où d’ivoire. Les négriers avaient du goût et de l’argent. On s’arrête devant le tableau d’une plantation : que de noirs ! La guide nous permet de prendre une photo pour un CUC que nous lui donnons discrètement. Une de ses collègues nous fait signe de changer de salle pour nous montrer quelque chose. Elle déballe alors des nappes brodées qu’elle nous propose pour 6 CUC. La vente est rapide et nous la suivons pour récupérer notre monnaie au fond du couloir. En passant devant  les pièces encore vides de touristes, nous apercevons les guides en bas résille qui brodent, brodent, dans l’attente du prochain visiteur.

 

A la sortie, nous flânons dans la ville, assaillis par les jineteros et les brodeuses. Nous comprenons que les cars de touristes allemands ne sont pas encore partis. Nous reviendrons demain.

Trinidad le 22.01.2012

12.La pintora famosa

Denys, malgré sa nuit de spectaculaire beuverie, est d’excellente humeur ce matin. Sur la terrasse, il  répète avec son chien leur tour favori. Il lui tend un sucre en lui parlant en français «  Et l’ chien, tzveux  un ptit suc ? » le chien opine alors en hochant la tête de haut en bas pour dire oui et il avale le sucre. Denys  recommence le numéro en espagnol : «  hola el perro quieres azucar ? » le chien opine du chef à nouveau et engloutit le morceau. Le jeu se poursuit en anglais « oh dog do you want a sugar ? ». Le chien pourtant trilingue ne répond pas. En éclatant de rire, Denys conclut devant nous que son chien  déteste les anglais. Nous laissons Denys à son cours de langue pour chien polyglotte et anglophobe et filons sur la Plaza avant l’arrivée des touristes  hollandais. La ville, livrée à elle-même éclate de couleurs. Le vert pistache de la mairie se marie joyeusement avec  le jaune paille de l’église et le bleu outremer du  bazar à touristes où s’affichent les masques rouges et noirs des cérémonies de la Santeria.

Une telle palette de couleurs s’offre si généreusement, dans la lumière de la place, qu’il est impossible  à l’aquarelliste néophyte qu’Elle est devenue, après des mois de cours du soir, de résister. Elle s’installe sur les escaliers, près d’une colonne en face des massifs de fleurs et sort son matériel : un carnet de croquis, une petite boîte à aquarelle, deux pinceaux, un crayon, une gomme, une bouteille d’eau et des kleenex. L’abondance fastueuse  pour Cuba !

Curieusement aucun jinetero  ni brodeuse ne s’approche, tandis que les femmes, les enfants, les adolescents, les hommes défilent tour à tour  pour admirer, voire photographier, la modeste aquarelle sur papier ordinaire qui apparaît laborieusement devant leurs yeux, les uns ajoutant un détail, les autres discutant de leur amour du dessin, certains arborant leurs projets d’avenir. Ils seront peintres eux-aussi pour vendre leurs œuvres aux touristes. Lui découvre qu’il a une femme peintre dont la réputation commence à courir au-delà de la place. Il confie à la foule admirative qu’Elle est une pintora famosa en France. Respect et silence entourent désormais leurs  déambulations sur les pavés du premier quadra de Trinidad.

A midi, il fait trop chaud pour flâner dans la ville, les plages d’Ancon et leur sable fin s’avèrent tentantes. Après avoir longé la magnifique péninsule marécageuse et contourné le monumental hôtel soviétique des années 60, nous découvrons  une petite plage ombragée par des cocotiers et agrémentée  de parasols tressés de feuilles de palmes. La location et le parking coûtent 2 CUC pour tout l’après midi. C’est peu, dit le gardien, surgi en survêtement élimé, de derrière les fourrés. L’eau limpide et turquoise est bonne : 24 ° trop froide pour les cubains qui laissent volontiers leur place aux touristes étrangers. Comme la baignade leur donne un peu faim, Il lui propose d’aller acheter des sandwichs au petit kiosque à côté. Quand Il revient, une heure plus tard, c’est accompagné du gardien de la plage, dont le strabisme et le dos vouté évoquent un urubu déplumé. Il est pourtant gentil ce gardien qui nous attendra en fin d’après midi pour nous recommander un paladar dans  Maria Aguilar, l’ancien port sucrier de Santa Clara.

D’ailleurs le soir, quand nous nous perdons dans la banlieue obscure et déglinguée à la recherche du paladar, il est là souriant au coin d’une ruelle sur sa mobylette pour nous accompagner. Le chemin est sinistre  dans ces rues sans électricité, nous commençons à nous demander dans quel traquenard nous sommes tombés, quand des néons et des fanions  signalent le paladar. Nous entrons, persuadés d’être chez lui, dans sa modeste maison que nous contournons. Nous découvrons alors dans un luxuriant jardin tropical, un immense restaurant, flambant neuf. Une dizaine de  tables, dont une de douze personnes nous attendent.

 

Tous les gardiens  de la plage sont là, assis sur un banc, veillant en fumant le cigare sur leurs touristes français.

Trinidad avant l'arrivée des cars de touristes

Soleil couchant sur la plage de Trinidad

Camagüey

Camagüey le 25.01.2012

13. Un labyrinthe sous les tropiques

Si toutes les sources touristiques convergent pour dire que Camaguey est différente des autres villes  avec ses sept églises et son plan non orthogonal, c’est sur les raisons d’une telle anomalie, que les  guides divergent.  Pour les uns le labyrinthe des ruelles a été délibérément tracé pour semer les terribles pirates des Caraïbes, pour d’autres plus prosaïques : il fallait bien relier entre elles les sept églises. Mais nous n’en sommes plus à ces querelles  byzantines, quand l’énorme camion qui bouchait la rue nous oblige à emprunter une autre voie. Lui, géographe-urbaniste pense que son sens de l’orientation inné, et acquis de longue date, lui permettra de trouver aisément  la casa Fernandez, calle Damas, Elle, littéraire, incapable de se rendre à Morcenx sans se perdre, envisage le pire , surtout sans plan, dans des rues qui alternent les sens uniques et dont les noms ont soit disparu, soit changé au fil des promotions ou des rétrogradations des héros. Peu douée pour jouer les Ariane, elle comprend vite que son co-pilotage, sans i.phone va être rude. Et ce l’est. Alors qu’Ils croient être sur le bon chemin, un passant leur indique la rue parallèle qui est en sens unique dans l’autre sens. Il faut donc faire demi -tour et reprendre la rue précédente bloquée par une benne à ordures qui semble posée là depuis toujours. Ils passent rue Maceo, devant la charrette d’un petit vendeur de légumes qui leur indique une autre voie : tourner au 3eme quadra à gauche, puis au second à droite, retourner à droite et c’est tout droit. Quand une demi-heure plus tard, ils aperçoivent pour la 4ème fois la benne, Il comprend qu’il est bien Calle de Damas,  mais trop en amont, la maison étant située plus bas dans l’autre sens. En voyant la Huyndaï passer pour la troisième fois, le vendeur de légumes lève les yeux au ciel. Un jeune homme se propose pour les accompagner, un coup d’œil au rétroviseur, no gracias, ils vont se débrouiller tout seuls. Quand ils arrivent une heure après rue Alegria, la logeuse leur signale qu’on les attend en fait à La Casa Carolina, calle du general Gomez entre Horca y Medio. Ils s’affalent sur ses fauteuils à bascule. Heureusement, Carolina, un petit bout de femme dynamique et chaleureuse, arrive à pieds pour les guider jusqu’à  sa  maison verte, face à l’église Santa Maria.

Il reste un peu de temps, avant la tombée de la nuit  pour visiter la belle ville de Camagüey, aux sept églises, aux nombreux parcs et au marché réputé pour son atmosphère pittoresque. Mais avant, un petit détour par le centre des télécommunications s’impose pour acheter une carte internet. Puisqu’à Cuba, on ne peut pas accéder à internet directement, il faut se procurer une carte :6 CUC pour une heure de navigation sur des postes spéciaux, mis à la disposition des étrangers. Une employée vérifie d’abord les passeports avant de remplir deux formulaires. Il faut ensuite s’aviser d’un poste disponible,  commencer à pianoter les codes qui figurent sur la carte, puis  attendre. Le temps de franchir tous les filtres gouvernementaux, l’attente peut durer 50 minutes. Il reste alors 10 mn pour le reste. Ce jour-là pourtant la première queue, celle qui s’étale à l’extérieur est rapidement dépassée. En voyant notre carte bleue, le gardien du centre nous ouvre et nous indique le bureau où se vendent les cartes. C’est la même vendeuse qui vend les précieux téléphones mobiles et les cartes. Elle est en pleine démonstration et refuse de faire deux opérations en même temps. Il n’a qu’à faire la queue comme tout le monde. Elle s’occupe de ses clients, vous voyez bien ! Garanti trois mois, un portable coûte six mois de salaire, et le couple en achète deux. Il faut plus d’une heure  pour remplir les formulaires, faire quatre photocopies, choisir les portables, les tester, se prendre en photos, ne pas se trouver beau, reprendre deux photos, ranger les portables dans la boîte, remplir d’autres formulaires, signer, faire d’autres photocopies. La lenteur de la vendeuse est stupéfiante, tout se déroule au ralenti devant des dizaines de personnes qui attendent sans broncher. Elle craint le pire. Va-t-Il exploser ? Il explose au bout d’une heure devant la foule impassible. Il est discrètement soutenu en français par un émigré cubain qui vit à La Rochelle. Vous voyez dit-il pourquoi Cuba n’avance pas ? C’est avec de tels comportements qu’on recule. Il est en France depuis deux ans où il conduit des engins de chantier. Si on prenait ce qu’il y a de bien dans les deux pays, on aurait une société idéale rêve-t-il,  mais c’est son tour et il est déjà tard. Nous rentrons par la rue piétonne.

 

Le lendemain, en deux heures, nous visitons les sept églises de Camagüey, traversons les parcs et allons au Marché. Sous des toits en tôle ondulée, quelques paysans vendent des  fruits et légumes de piètre apparence pour un prix dérisoire. Il est vrai  que c’est l’hiver, ici et les mangues sont encore très vertes.

La cathédrale baroque de Camagüey

Baracoa

L'Enclume est la montagne qu'on aperçoit au loin.

Baracoa le 24.01. 2012

14.L’Enclume

Il est  10h du matin à Holguin quand l’employé de l’hôtel rectifie nos prévisions. Nous  ne serons  certainement pas à Baracoa avant 17h. La route est mauvaise, très mauvaise, surtout après Moa où elle risque même de disparaître sous les effondrements de terrain. Il nous serre la main d’une poignée ferme mais encourageante. Rares sont les touristes qui s’aventurent  seuls sur cette route jusqu’à Baracoa avec une Huyndaï : au moins 6h pour 200 kms ! Nous  quittons donc un peu tendus la région natale de Fidel pour nous enfoncer sur les contreforts de la Sierra Maestra, haut lieu de la geste castriste.

La route, qui surplombe au loin  les lagunes et les golfes n’est au début pas plus défoncée qu’ailleurs sous les tropiques, pas plus qu’au Costa Rica en tous cas. Nous atteignons les 60 kms à l’heure, évitant quelques nids de poules colmatés ça et là par les pelles agiles des  brigades d’ouvriers. A midi une échancrure sur la carte indique un cayo. Le CayoMayari . On ne sait pourquoi alors son nom aux consonances lointaines  évoque en nous, en ce milieu de journée  un petit port de pêche, alangui sous les alizés où il fera bon s’arrêter dans un paladar au bord de l’eau turquoise. Nous bifurquons donc sur Mayari qui s’avère être une grosse bourgade, commerçante sans âme, dénuée de charme, aux barres d’immeubles délaissées, aux magasins et restaurants vides. Nous avalons en vitesse sur un banc, une pizza constituée d’un épais  morceau de mie de pain recouvert de sauce tomate, chargeons notre sixième stoppeuse avant de reprendre la route pour Moa. Moa se voit de loin. Submergée par des panaches de fumée jaune qui asphyxient toute la végétation à deux kilomètre à la ronde, l’usine de nickel déverse continument  ses flots de résidus dans une  rivière boueuse, ocre et rouge. Moa est un grand centre industriel ancien, construit par les soviétiques. Traversé de tuyaux et de ponts, hérissé de cheminées, il ressemble aux usines de Tardi d’où sortiraient  de vrais ouvriers flegmatiques, casqués et souriants.

Passés Moa les difficultés commencent. La Huyndaî, dont nous craignons de casser les amortisseurs, zigzague entre les trous, monte sur les talus, cale devant les fondrières, repart courageusement à l’assaut des monticules, glisse, évite de justesse  les  sapins qui prolifèrent dans le coin. Une brave petite coréenne qui ne recule devant aucun obstacle ! Nous traversons à 10 kms  à l’heure des paysages somptueux et sauvages que nous n’osons admirer mais que nous devinons. La brume monte des ravins, il va pleuvoir. Il pleut des trombes tropicales. Prudents nous  attendons  et repartons, atteignant la réserve naturelle où se nichent de tout petits villages et des maisons de chaume. Pas riche la région, nous dit la jeune assistante sociale que nous prenons en stop en quittant l’un d’eux.

Elle habite Baracoa et fait trois heures de route en stop tous les jours. Elle non plus ne connait pas les raisons qui justifient  la double monnaie, mais elle voit bien que la pauvreté stagne même s’il y a quelques progrès. Elle nous parle de sa situation : maman de trois enfants comme la plupart des cubaines, elle habite avec eux et son mari chez sa mère car son salaire de 15 CUC mensuel ne garantit pas ses emprunts. A l’instar de la majorité des cubains, elle se ravitaille dans les magasins d’état avec ses coupons  qui assurent 15 jours de subsistance à sa famille. Elle aime son métier, elle aide les femmes de la montagne à toucher les aides qui leur sont dues. Elle veille à la scolarité des enfants, elle est fière de son pays qui résiste à l’embargo et, elle, ne nous demande rien.

Après avoir emprunté les ponts tout blancs qui enjambent les estuaires, nous reconnaissons enfin l’Enclume, ( ElYunque) cette montagne aplatie qui servait de repères aux navigateurs. Nous sommes à Baracoa, une des villes les plus pauvres, les  plus enclavées de l’ile, mais surtout d’après Leonardo Padura : la cité la plus accueillante, ce que confirme la serviabilité  désintéressée de notre stoppeuse.

 

Il pleut, l’eau ruisselle sur les cyclo taxis qui ramènent les enfants de l’école. Tout semble si triste en ce mois de Janvier. Nous sommes exténués. Nous nous demandons bien ce que nous sommes venus faire là dans ce bout du bout du monde tropical.

Un bateau échoué depuis des décennies dans l'embouchure de la rivière. 

Le Malecon

Baracoa le 26.01.2012                                                                     

 15.L’Oriente

En sortant de la Casa Sofi-Lambert,  le soleil de Baracoa nous éblouit. La transparence de l’air ravive, sur la rue qui mène à la jetée les contrastes entre des maisons bien entretenues, pimpantes, badigeonnées de tons vifs  acidulés et leurs voisines, délabrées en bois brun délavé. Une vieille carcasse de bateau rouillée bloque l’entrée du petit port noyé sous la végétation tropicale. Un vrai paysage de carte postale. Elle attrape ses pinceaux pour croquer les bananiers, qu’elle peint maintenant avec  aisance. Mais pas d’aquarelle ce matin, puisqu’un guide, surgi de nulle part, leur propose en tendant sa carte officielle, une excursion à Yumuri, dont les canyons sont réputés pour les suicides d’indiens au 16ème siècle. Le temps de se préparer et c’est un autre guide, Ricardo, chemise beige et rangers, guitare en bandoulière, qui monte dans la voiture. Ricardo, quinquagénaire sportif et svelte, travaillait à l’hôtel El Castillo avant  sa reconversion un peu forcée en guide. Il parle quelques mots de  français qu’il a appris au contact des clients, mais c’est en espagnol qu’il nous propose le programme de la journée : visite d’une plantation de cacao, arrêt dans un petit port de pêche, puis balade dans le cañon de Yumuri en barque, repas au bord du torrent, visite du minuscule village de Yumuri, avant une baignade sur  la plage de Manglito pour clore la journée. Tout cela pour 20 CUC, repas et barque non compris.

Après la plantation de cacao, la route presque carrossable est splendide, ourlée d’une mer émeraude, elle suit les vallonnements de la montagne débordée par sa luxuriante couverture tropicale. Un éblouissement des sens dans ce foisonnement de couleurs. Après un lacet, les falaises ocre se précipitent dans la mer. Une grotte les surplombe qui permet de garer la Huyndaï, quelques instants, le temps d’admirer un nid de colibris. Surgissent alors, on ne sait d’où, deux pêcheurs qui nous proposent un pago tout juste pêché pour le repas de midi. Nous traitons avec le plus âgé, au teint parcheminé, puis reprenons la voiture jusquà Yumuri où s’impatientent des dizaines de femmes, qui tendent en criant des colliers et des bracelets de polimitas, ces petits  escargots magnifiques  à la coquille orange vif striées de fines rayures marron, dont le trafic illicite accélère la disparition.

Une barque nous attend déjà avec son rameur souriant pour remonter la rivière. Il rame ferme pendant que Ricardo chante Guantanamera en gratouillant sa guitare Nous  débarquons sur une étroite  plage de galets avant de  nous enfoncer plus avant dans un petit bout de forêt tropicale qui fleure bon l’Amazonie. Avec sa casquette militaire et ses rangers, Ricardo ne dépare pas dans le paysage. Une autre plage plus accueillante, au pied du canyon, nous invite à nager dans l’eau claire en attendant, à l’ombre des cocotiers, le pago promis.  On aperçoit au loin la silhouette des pêcheurs qui portent  cérémonieusement une grande bassine recouverte de feuilles de bananiers. Le poisson, servi avec gravité par le vieux pêcheur et son fils, pour 15 CUC, prend pour nous l’allure d’un festin. Pour eux, qui scrutent nos réactions, c’est au moins un mois de salaire  assuré.

Au retour, Eduardo, dont Elle admire les rangers noires, leur confie son passé de « combattant internationaliste ». Appelé à 20 ans, il s’est porté volontaire pendant deux ans pour combattre les troupes Sud Africaines de l’apartheid, qui envahissaient l’Angola. Il garde une grande nostalgie de cette période, il raconte ses combats, ses techniques de guérilla dans la forêt équatoriale. Il évoque avec émotion ses camarades disparus, les 10 000  morts cubains en Angola et au Mozambique. Il montre sur le sable avec un bâton où et comment il poserait ses mines si les Américains s’avisaient d’attaquer Cuba.

La mer scintille sur la plage corallienne de Manglito où nous échouons en fin d’après midi, rejoints par des familles entières qui nous proposent  de la langouste et des crevettes pour un bon prix.  Le père, vêtu d’un vieux Tshirt troué aux caractères cyrilliques à moitié effacés, insiste lourdement, les femmes quémandent du savon, les enfants des crayons. Une dizaine de petits cochons noirs et deux coqs passent indifférents. Nous chassons, ennuyés et vaguement culpabilisés, les importuns pour plonger dans l’eau limpide.

 

Quand nous reprenons la voiture, le logo d’argent «  Huyndaï » a disparu ! Seuls restent deux trous noirs sur la carrosserie.

Transport public à Baracoa

Baracoa le 27.01.2012

 

16.Une capitale oubliée

Finalement Baracoa, la petite ville du bout du monde où il pleut tous les soirs dix minutes, s’avère fort agréable. Manifestement, elle a oublié depuis très  longtemps qu’elle fut  la première capitale de Cuba, n’ayant  conservé de cette fastueuse période que ces deux forteresses coloniales décrépites et son Malecon balafré par des barres d’immeubles. Est-ce la limpidité de la lumière océane ? Ses ruelles fleuries qui dégringolent de la colline ? L’absence de voitures remplacées par des dizaines de cyclo-taxis ? Son enclavement touristique ? Tout contribue à faire de cette  ville au charme désuet un petit havre temporaire où il fait bon prendre son temps. C’est ce que nous faisons. Nous grimpons visiter  le  minuscule musée  consacré aux Taïnos, dans une grotte qui servait de refuge au  célèbre peuple amérindien, rapidement  décimé par les conquérants espagnols. Le guide y attend ses visiteurs avec la patience des indiens sur le sentier de la paix, où seuls quelques  français égarés laissent leurs traces. Nous contemplons de la falaise, la vue majestueuse qui s’offrait aux premiers habitants  dont il ne reste que deux squelettes et quelques outils, et redescendons vers la forteresse où pour 3CUC nous pouvons revivre l’exploit des espagnols. Il fait chaud dans la ville qui s’anime grâce à des  dizaines de petits étals sur lesquels on vend tout et n’importe quoi : trois boulons, des vis, une pédale de vélo, des piles électriques, une demi lampe sans pied, un ressort… Un conducteur de  cyclo taxi nous hèle : pour 3 CUC il nous ramène en pédalant à la maison ! Pour 2 CUC, nous montons sur la banquette de sa lourde embarcation, qu’il peine à tirer. Il est flagada nous dit-il et puis il en a assez de pédaler pour nourrir ses trois enfants. No es una vida ! Nous passons par le Malecon pour profiter du vent arrière qui lui fait gagner quelques tours de roue et filons sur le port croquer, entourés de nos habituels admirateurs,  le bateau échoué qui en bouche l’entrée.

En fin d’après midi, Alberto le propriétaire retraité de notre  casa « Sofi y Lambert », qui a troqué sa casquette rouge  dénonçant «  la prolifération  des armes atomiques »  pour  une blanche  plus discrète, nous invite à dessiner sa belle maison bleue. La pintora  s’installe sur le trottoir, en face, sur une petite murette surélevée. Lui s’apprête à recevoir les compliments habituels du voisinage, quand un vieux monsieur s’assied à côté d’eux et leur propose en douce des chocolats qu’il sort d’une besace: 50 pesos cubains. Ils sursautent. Des pesos cubains ! L’homme qui vend ses bonbons est le frère d’Alberto et l’oncle de la jeune femme médecin : Louisa, la fille d’Alberto, qui  est retournée vivre avec sa famille chez ses parents à son retour du Venezuela. Le vieil homme est maçon retraité,, c’est lui qui a construit la belle maison d’Alberto, il vend ses bonbons dans la rue pour améliorer  ses fins de mois. Il confirme les difficultés dans le bâtiment, la cherté du ciment et de la peinture, les dessous de table pour détourner la réglementation. Il ne se plaint pas : avec ses bonbons, il s’en sort bien, sans les tracasseries administratives que subit son frère avec la gestion de sa casa particular. Il parle doucement et se lève lorsqu’ arrive un voisin clarinettiste qui invite tout le monde au concert à la Maison de la Trova dans la soirée.

La murette se garnit et se dégarnit, au rythme d’un confessionnal où défilent les gens du  quartier. Elle peint, Lui écoute et discute. Elle entend mais ne comprend pas assez l’espagnol pour saisir la conversation animée qui se déroule entre Lui et le gendre de Roberto. Il lui racontera plus tard le désespoir du jeune homme, kiné  et prof de sport surdiplômé, chômeur depuis son retour du Venezuela deux  ans auparavant. Sa lassitude face à un système qui contraint les jeunes à l’oisiveté et à l’enfermement insulaire. Sa candeur étonnante sur les autres parties du monde, sa soif d’information libre et contradictoire. Lui, insistera sur la réalité du chômage en France et en Espagne, sur les dégâts causés  par le capitalisme financier dans les pays occidentaux. Silence.

 

Silence encore dans le grand restaurant d’état, vide et froid de la Citadelle. Nous sommes les seuls clients. Nous hésitons entre les crevettes et les spaghettis sur la carte que nous présentent cérémonieusement trois serveurs, pas moins.

Santiago

17.Santiago : le Grand Sud                                                                                          le 29.01.2012

Après les gorges abruptes de la Sierra Maestra, les derniers cols annoncent une route moins sinueuse. On aperçoit au loin l’océan atlantique secoué par la tempête. La mer agitée recrache des flots d’écume et de grandes brassées d’algues brunes. C’est l’hiver, sur cette côte  ingrate et désolée que balaient les grands vents du large. Des montagnes pelées surplombent la route qui mène à Guantanamo, ville aussi célèbre pour la langoureuse chanson Guantanamera que pour son terrible pénitencier, qu’on imagine dans la touffeur estivale.

 Les gens de Baracoa nous avaient prévenus. Faites attention à Santiago, c’est une grande ville dangereuse. Les rues sont livrées aux  jineteros  noirs et voleurs, nous avait même confié un de nos compagnons de plage, un métis très  basané. La ville est effectivement périlleuse, non du fait des jineteros negros, mais à cause des énormes camions qui la sillonnent jour et nuit, à toute allure, remplis de leur cargaison de marchandises ou de passagers. C’est la première fois que nous voyons tant d’hommes, de femmes et d’enfants transportés dans des bétaillères- les fameux gwagwa- ,à peine améliorées par des fenêtres découpées dans la carlingue. Le choc est rude et l’entrée dans Santiago compliquée. Toujours pas de plan, avec pour seul repère le Parc Cespédes, près duquel est située la Casa. Malheureusement, plus nous approchons, plus le Parc s’éloigne, nous sommes emportés avec la Huyndaï par la foule et par le  courant des sens  uniques. Des jeunes gens s’interposent pour nous proposer  d’autres Casas particulares. Nous les ignorons et poursuivons exaspérés une petite rue qui débouche miraculeusement sur la Calle Santa Rosa, où nous attend un charmant couple de sexagénaires.

Armando ressemble à un sacristain triste, Suraya a le maintien un peu guindé d’une ancienne institutrice d’école catholique. Leur grande maison aux plafonds très élevés déborde d’images pieuses, de crucifix, de photos de Rome, de tableaux aux thèmes moraux. Ils nous accueillent dans leur adorable patio aux senteurs exotiques. Notre âge et nos professions semblent les rassurer. Très vite la discussion tourne autour de la perte des valeurs traditionnelles depuis la Révolution. Même la Fête des rois mages a disparu au grand dam des enfants privés de rêves. Nous nous  surprenons  à évoquer le Père Noël, Saint Nicolas, la petite souris et même le Petit Chaperon Rouge, dévoré lui-aussi dans les forêts cubaines. Nous  regrettons  avec eux ces mesures de la Révolution que contredit la conception française de la laïcité. Comme beaucoup de cubains, Armando  et sa femme  attendent fébrilement la venue du pape en mars qui sera reçu d’abord par Fidel et Roul, ces deux mécréants et grands pêcheurs, avant de célébrer une messe rapide à La cathédrale de la Havane.

Nous laissons là notre discussion métaphysique pour chercher à l’Office du tourisme un plan de la ville. Pour 2 CUC, on nous remet avec l’attention dévolue aux objets rares un plan,  sur papier sepia, du centre de Santiago. Les caractères sont illisibles, les rues ont changé de noms. Il ne nous sera d’aucune utilité, mais tant pis, on le garde. Une librairie se profile à un quadra. Qui sait ? La  boutique ressemble malheureusement  à toutes celles que nous avons vues à La Havane et à Santa Clara : vaste et claire, meublée d’étagères de bois foncé, elle se limite à quelques ouvrages classiques ou révolutionnaires, imprimés sur du mauvais papier en noir et blanc. Sophocle, Balzac et Hugo côtoient Lenine. Fidel côtoie Guevara ou inversement, derrière des piles d’anthologies vieillottes  sur les mouvements révolutionnaires du monde entier. Seul Glissant a réussi à se glisser entre les œuvres complètes de Quiroga et Jose Marti. Quelques photocopies de thèses universitaires satisfont la curiosité des rares lecteurs qui espèrent encore trouver un bouquin inédit sur Cuba. Un  tout petit rayon de littérature enfantine apporte, au fond, une touche de couleur dans la grisaille des ouvrages exposés.

 

La maison de la Trova est autrement plus vivante, recouverte de photos de musiciens et  de groupes célèbres, dont évidemment l’incontournable Compay Secundo et Son Catorce le groupe fétiche de la ville. La Trova  est le lieu où le Tout Santiago vient s’étourdir en buvant et en dansant jusqu’au matin sur des airs de chachacha, salsas ou reggaeton. Des couples se livrent d’ailleurs  à une salsa endiablée dans la rue. Une toute petite fille se trémousse sous les applaudissements. Plus loin, à la maison des étudiants, ce sont les Nocturnes de Chopin, jouées sur un piano un peu désaccordé qui attirent les passants mélomanes. Pour quelques CUC des petits orchestres ambulants jouent et chantent, sur des instruments aussi vieux qu’eux, La ville semble être saisie ce soir d’une folie festive sous ses parures baroques décrépites.. On est pourtant mardi, un jour comme les autres.  

Un orchestre de danzon

18.Santiago le 31.01201     

 

  Une ville de bruit et de fureur

Santiago est construite en terrasse autour de son port. Quand on descend les ruelles, la vue est splendide, quand on monte, le souffle est court. Malheureusement pour nous la Caserne Moncada, célèbre depuis le 23 Juillet 1953, domine le quartier. C’est donc haletants, que nous écoutons la guide nous commenter en français et avec enthousiasme les panneaux d’exposition. Bien sûr le déroulement de l’attaque ne nous était pas inconnu, mais il nous manquait le contexte. Comment et avec qui, une petite centaine d’hommes menés par de jeunes bourgeois libéraux, idéalistes et téméraires a-t-elle pu décider de  combattre la première place forte du régime de Batista ?  Rien ne manque dans le musée, ni les fac-similés des journaux, ni les plans de la caserne, ni les détails de l’attaque pendant le Carnaval, ni les horreurs de la répression, ni évidemment les objets  ayant appartenu aux martyrs : leurs chemises ensanglantées, leurs armes, leur trousse de toilette. On y voit même les chaussures civiles qui ont stupidement trahi les révolutionnaires déguisés en soldats de Batista. La caserne, reconvertie en école, est beaucoup plus vivante et moins hagiographique que le Musée de La Havane. Nous cédons à la vendeuse souriante en achetant pour 20 CUC un  livre de photos sur le  Che et redescendons vers le berceau historique de Cuba,  le nez en l’air pour admirer les balcons ouvragés des immeubles décatis.

La Maison Velasquez, la plus vieille demeure de l’Amérique latine, est aussi la plus fraîche. On la reconnaît immédiatement à ses moucharabiehs derrière lesquels les belles alanguies guettaient  le conquérant. D’épais murs blancs la protègent de la chaleur et mettent en valeur des meubles précieux. Un objet attire  particulièrement l’attention des visiteurs : l’énorme four à or, le plus puissant des Amériques qui transsubstantiait  le sang des indiens en fortune colossale. Tout ça pour ça ! Silence et indignation morale. Pourtant, comme pour faire oublier ces turpitudes historiques, une curieuse et allègre musique monte du fond du patio : un mélange de pavane de la cour d’Espagne, de menuet  français et  de tambours africains.  Devant un parterre  de coréens ébahis, un orchestre cubain joue sur un rythme endiablé les fameuses danzon, ces danses et contredanses des planteurs français réfugiés d’Haïti, après la victoire des abolitionnistes noirs. L’atmosphère est à la joie  dans la maison du gouverneur et, pour 10 CUC nous partons avec le CD du groupe rejoindre un autre spectacle au petit Musée du Carnaval.

Presque tous les carnavals du monde ont lieu à la mi-carême, sauf celui de Santiago  qui se déroule traditionnellement mi -Juillet, non pour célébrer les attaques de casernes- comme le prétendent les mauvaises langues réactionnaires -   mais pour fêter le valeureux Saint Jacques patron de la ville. Pendant une semaine le peuple chante, danse et se déchaine. Certes les costumes ont moins de faste  que celui de Rio ou de Cayenne, mais la foule délire tout autant si on en juge d’après les photos et les robes à paillettes du modeste petit Musée, qui offre de surcroit à ses visiteurs de l’après midi, en live, une démonstration de danses afro-cubaines coquines et endiablées. Comme leurs  genoux les font souffrir depuis la montée à la Moncada, ils déclinent  les invitations  d’un  danseur magnifique et d’une danseuse pulpeuse (et vulgaire) pour assister au tir au canon du Castillo del Moro, la forteresse qui protège Santiago depuis plus de quatre siècles.

Pour qui a le courage de monter et descendre des centaines de marches, de traverser des douves d’accéder aux tourelles, de grimper aux terrasses, de se pencher au-dessus du vide, ce  patrimoine de l’humanité, qui connut la reddition des derniers espagnols face aux américains, offre des vues extraordinaires sur la baie et le large. On  aperçoit à quelques coudées, éclairés par la lumière déclinante, les palafitos de Cayo Granma, la  charmante petite île de pêcheurs  et les  belles résidences réservées aux dignitaires du régime. On redescend visiter les salles consacrées à la piraterie qui nous éclairent  enfin sur la différence entre les pirates, les corsaires, les boucaniers, les flibustiers, tous grands bellâtres pilleurs de galions et pourfendeurs infatigables des Caraïbes. Le soleil baisse à l’horizon, c’est l’heure des préparatifs. Le canon est prêt à accueillir son petit bataillon de soldats et soldates vêtus d’un  uniforme  beige de mambis. Ils défilent solennellement, comme tous les soirs selon une tradition vieille de vingt ans, sous les crépitements des appareils photo, avant de tirer le boulet  qui marque symboliquement la fermeture du port.

 

Quand retentit le bruit assourdissant du canon,  nous sursautons : c’est déjà la fin de notre aventure.

Aperçu de la Caserne Moncada, reconvertie en musée et en école. 

La Havane le 01.02.2012

19. Le couvent santa Brigida y Madre Isabel

Sans doute n’aurions nous jamais connu les œuvres célèbres de Sainte Brigitte et de sa colocataire Isabel, si les petites sœurs ne s’étaient avisées de transformer une partie de leur magnifique couvent du XVIII° siècle en hôtel moderne pour touristes. Le couvent est situé dans HabanaVieja le centre historique de la ville, juste en face de l’Hôtel San Francisco, réservé aux voyagistes. La  jeune sœur souriante qui vient nous ouvrir, après nous avoir longuement observés  sur son écran video, porte une bien étrange coiffe : un mélange de casque de croisé et de voile oriental, assez seyante mais absolument inconnue sous nos contrées occidentales. Les formalités d’usage rapidement franchies, elle nous confie à un monsieur d’un certain âge, le seul homme parmi cette petite communauté industrieuse et internationaliste de Blanches neiges, infatigables et discrètes. La chambre, fort spacieuse possède à notre grande surprise une télévision avec vingt chaines, dont TV5 ! Nous allons pouvoir retrouver Sarkozy, Hollande et les autres ! Les habitations  surplombent  un ravissant patio, qu’égaient sous les arceaux du cloître, les chants d’oiseaux tropicaux enfermés dans une jolie cage ajourée en fer forgé. Sainte Brigitte a vraiment  dû croiser la route  de Saint François. Rien n’est impossible à Cuba et, pour nous en convaincre nous laissons les petites sœurs briquer inlassablement les carrelages, en prévision  d’une inspection possible du Saint Père,  pour repartir flâner dans La Havane. Cette fois, nous sommes avertis et aguerris contre les jineteros, qu’Il renvoie  sans ménagement, avec des insultes en espagnol finement et longuement  préparées.

La ville resplendit en ce samedi de février. Les ouvriers s’activent à nettoyer la Cathédrale pour la prochaine venue du pape. Des orchestres jouent partout, c’est une cacophonie sans nom qui accompagne jusqu’à la Plaza de Armas les hordes de touristes tchèques et belges. De loin parviennent  même les sons aigres  de cornemuses, rythmés par  le timbre sourd des tambours africains. L’orchestre se rapproche, suivi par une troupe d’enfants joyeux et enchantés. Des galiciens, métis et créoles jouent avec une alacrité communicative des gigues et sarabandes  pour la foule enthousiaste qui se surprend à danser dans leur sillage. C’est la fête ici aussi !

Encore un petit tour au Castillo de la Real Fuerza pour saluer nos derniers pirates féroces et moustachus, un ultime  coup d’œil au Malecon qui resplendit aujourd’hui, une incursion au Musée des arts religieux qui exhibe  les plus belles œuvres d’art aborigène australien que nous ayons jamais vues. Cuba a aussi ses mystères anthropologiques.  Nous nous affalons à une terrasse de café sur la Place de la Cathédrale. Impossible cette fois d’ignorer les vieux cubains, parés d’habits traditionnels, qui posent le cigare  à la bouche, pour les touristes.  Nous admirons un porteur de « gâteau de 15 ans », un énorme échafaudage de crèmes  fouettées bleues ou roses destiné à fêter l’accession à l’âge adulte des collégiennes en jupe culotte. Nous effleurons du regard la carrosserie rutilante de la Chevrolet garée près de la place. Un dernier croquis, il faut rentrer.

Il est 19h, heure de grande écoute. Nous allumons pour la dernière fois la chaîne cubaine. La Conférence nationale du Parti communiste cubain poursuit ses travaux. Les délégués, porteurs des revendications des organisations de masse et des travailleurs  promettent des jours meilleurs, pour bientôt.  Quand l’impérialisme américain aura plié devant le Grand peuple cubain. Quand le blocus sera levé.

Nous éteignons la télévision et enveloppons délicatement nos bouteilles de rhum avec les numéros de Granma que nous a offerts la vendeuse du magasin d’Etat.

 Nous,  demain, nous   serons  loin dans l’hiver français glacé et la grisaille de la crise économique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La cathédrale baroque de la Habana

Talence le 15.02.2012

20.El rico vacillon

Ils écoutent distraitement la radio en mangeant leur rôti de bœuf, un sujet suit l’autre : d’abord le printemps arabe, puis la Syrie et pour finir, un bref reportage sur Cuba, d’un envoyé spécial basé à Caracas. Le reporter a réussi, malgré la situation dangereuse, à passer trois jours à La Havane ; il en revient avec des nouvelles fraîches sur l’évolution du régime. Dorénavant les cubains pourront vendre leurs belles maisons coloniales, malheureusement  convoitées par les émigrés de Floride et les riches étrangers. Les homosexuels pourront ouvrir des bars et des boites de nuit, rien que pour eux. Le problème des discriminations raciales, toujours si pesantes dans l’administration, demeure.

Il ne dit rien en revanche sur la suppression des 500 000 postes d’employés de l’état promise par Raul, rien sur les conditions  de vie des cubains, et surtout rien de rien sur les méfaits que  la double monnaie exerce, tant sur  les relations avec les étrangers qu’entre  les cubains eux-mêmes.  L’envoyé « especial », comme on dirait là bas, ne semble pas avoir perçu l’inquiétude qui taraude les 11 millions d’habitants face à l’avenir. De toute façon quien sabe ? Qui sait ce que Cuba, cette île multiculturelle, joyeuse et résignée, va devenir quand auront disparu les héros de la geste révolutionnaire, des vieillards qui se repassent inlassablement  le film de leurs vingt ans.

 « El ricovacillon » répète la chanson. Les Cubains adorent ce refrain de chachacha qui décrit si bien cet instant suspendu où tout peut vaciller  en amour.  Combien de temps va-t-il durer en politique ?

 

 

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